• Confinement : les coulisses du renoncement d’Amazon au « Black Friday »

     

    Les commerces exhortaient Matignon à les laisser rouvrir le 27 novembre pour l’opération promotionnelle et ne pas laisser le champ libre aux acteurs de l’Internet. C’est finalement un report global qui s’est imposé, non sans difficulté.

     

    Des passants devant la vitrine d’un magasin d’Ajaccio, le 29 novembre 2019.Des passants devant la vitrine d’un magasin d’Ajaccio, le 29 novembre 2019. PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

     

    « Aujourd’hui, comme d’autres distributeurs en France, en écoutant les recommandations du gouvernement, nous avons décidé de reporter la date du Black Friday si cela permet de rouvrir les commerces et les magasins physiques avant le 1er décembre », a déclaré solennellement, jeudi 19 novembre, Frédéric Duval, directeur général d’Amazon France, invité du journal de 20 heures sur TF1. Ajoutant que « cette année, le “Black Friday” aura lieu le 4 décembre ». Par cette annonce, le géant américain du commerce en ligne débloque une première étape dans le processus de réouverture des commerces non alimentaires.

    Depuis plusieurs jours, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, laissait entendre aux acteurs qu’il n’était pas raisonnable de maintenir cette opération promotionnelle le 27 novembre, alors que le gouvernement doit décider dans les prochains jours de la date de réouverture des commerces dits « non essentiels » et discute du protocole sanitaire approprié. Il l’a encore répété au Sénat, mercredi, en leur demandant d’« examiner toutes les possibilités de décaler cette opération qui n’a pas de sens dans les circonstances actuelles ».

    Compromis

    Les enseignes, de leur côté, suppliaient Matignon de pouvoir rouvrir le 27 novembre, faute de quoi seuls les acteurs de l’Internet se tailleraient la part du lion. L’événement avait généré 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, dont 5 milliards dans les commerces physiques, selon Bercy.

    Conscients que le gouvernement n’a pas la capacité d’interdire « une opération promotionnelle d’ordre privé », Bruno Le Maire et le ministre délégué aux petites et moyennes entreprises (PME), Alain Griset, avaient convoqué, jeudi 19 novembre au matin, les organisations représentatives de la grande distribution, du commerce coopératif et associé, de la vente en ligne, mais aussi une dizaine de grandes enseignes, pour les convaincre de repousser la réalisation d’une grande foire aux bonnes affaires, synonymes d’interactions sociales.

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    En visioconférence, face aux ministres, se trouvent ainsi des patrons des entreprises les plus connues – Enrique Martinez, le directeur général de Fnac Darty, Michel-Edouard Leclerc, PDG du groupe du même nom… mais aussi Amazon, qui avait envoyé son directeur de la stratégie et des affaires publiques, Yohann Bénard, rompu au langage ministériel depuis son passage au cabinet de Christine Lagarde lorsqu’elle était ministre de l’économie.

    Par écrans interposés, M. Le Maire leur expose alors le compromis : « Un report du Black Friday jusqu’au 4 décembre en échange de la réouverture de tous les commerces le samedi 28 novembre », raconte un participant. « Il nous a dit que le 27, ce n’était même pas la peine d’en discuter et qu’il souhaitait que tout le monde aille dans ce sens », explique un autre. Car, dans l’après-midi, M. Le Maire devait rencontrer le premier ministre, Jean Castex, puis le lendemain matin le président de la République. Et il valait mieux pour lui avoir en main des arguments pour assurer qu’il n’y aurait pas de cohue dans les magasins s’ils ouvraient rapidement.

    « Ça va être un bordel sans nom »

    En face, la grande distribution acquiesce. Mais elle soulève les difficultés qu’un tel report représente à une semaine de l’opération. Il y a d’abord la question des prospectus. « Ils sont imprimés, et on ne va pas en jeter des millions », argumente-elle. D’autant que certains ont déjà été envoyés dans les boîtes aux lettres. « Une opération comme ça, cela se prépare entre six mois et un an à l’avance », raconte un distributeur.

    Les problèmes opérationnels et juridiques sont lourds, avance la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). « Une fois édité, un catalogue n’est valable que pour une certaine période durant laquelle le client doit pouvoir trouver le produit. Théoriquement, il peut nous réclamer la marchandise en magasin, explique un participant. Or, là, ce n’est pas une décision de l’Etat, comme pour la fermeture des rayons non essentiels, mais une demande. Juridiquement, ce n’est pas la même chose. » Sans l’autorisation explicite de Bercy de faire des errata à l’entrée des magasins, ils ne seront pas dans les clous vis-à-vis de la répression des fraudes.

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    « Mais il y a aussi tous les contrats avec les fournisseurs, qui financent en partie ces promotions et vis-à-vis desquels on s’est engagés à vendre la marchandise aux conditions et à la date de l’opération, explique-t-on dans une enseigne. Si on ne respecte pas le contrat, l’administration peut nous tomber dessus. »

    Enfin, la question de l’organisation logistique, prévue longtemps à l’avance pour que les marchandises arrivent dans les magasins en temps et en heure. « Dans les grands hypermarchés, les machines à laver, ça va prendre de la place », glisse-t-on dans une enseigne. Sans compter les campagnes de communication dans les médias, « qu’il faudra arrêter », ont-ils expliqué aux ministres. « Ça va être un bordel sans nom », résume un directeur d’enseigne.

    « Amazon a pris le pouvoir »

    Une fois cet état des lieux posé, le ministre a fait un tour de table pour évaluer l’assentiment des enseignes. On s’y pliera, ont laissé entendre les uns et les autres, mais à condition que tous s’y conforment, y compris Amazon.

    Le géant américain avait déjà retiré, sur l’insistance du ministère de l’économie, sa précampagne promotionnelle pour le « Black Friday », mais, depuis quelques jours, il laissait planer le doute. « Je suis attentif à ce qui se passe, pour l’instant, je n’ai pas décidé », avait lancé, le 13 novembre, M. Duval, au micro de RMC. Face à la crispation autour d’Amazon, Bruno Le Maire se tourne alors vers son représentant, lui indiquant que « cela serait bien qu’il s’exprime »« On y réfléchit », a répondu M. Bénard, avant d’ajouter : « Notre position sera donnée d’ici à ce soir. »

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    « Nous nous félicitons qu’Amazon ait rejoint la position de l’ensemble de la grande distribution, qui a accepté le décalage d’une semaine du Black Friday, afin de permettre une réouverture de tous les commerces », a indiqué Jacques Creyssel, délégué général de la FCD, jeudi dans la soirée. « L’annonce d’Amazon est une étape importante. Mais le fin mot appartiendra au président de la République », estime de son côté Dominique Schelcher, le président de Système U.

    Cette annonce solennelle d’Amazon au journal télévisé, « comme le ferait le président de la République, c’est symboliquement la preuve d’un nouvel ordre mondial, montrant qu’ils ont pris le pouvoir, qu’ilpeuvent obliger les distributeurs et le ministère de l’économie à se plier à leur bon vouloir », explique un professionnel, plus critique. Une nouvelle réunion doit rassembler les différents acteurs du dossier, vendredi, à 15 heures, pour finaliser le dispositif.

     

    C. Prudhomme


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