• Covid-19 : bataille d’influence au sommet de l’Etat sur la réouverture des commerces

     

    Le président de la République s’exprimera mardi afin de confirmer, ou pas, d’éventuelles mesures d’assouplissement du confinement en faveur des petits commerces.

     

    Le Premier ministre français Jean Castex s’entretient avec des commerçants lors d’une visite à Crozon, dans l’ouest de la France, le 20 novembre.

     

    Le Premier ministre français Jean Castex s’entretient avec des commerçants lors d’une visite à Crozon, dans l’ouest de la France, le 20 novembre. SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

     

    A une libraire de Crozon, il a affirmé que la réouverture des petits commerces était « en bonne voie ». A une boulangère voisine, il a répété que « l’Etat était à leurs côtés ». Mais ce vendredi 20 novembre, devant des caméras venues l’accompagner dans le Finistère, le premier ministre, Jean Castex, semblait surtout tenter de reprendre la main sur une bataille que son ministre de l’économie, Bruno Le Maire, avait déjà gagnée.

    Dès la veille, Bercy avait obtenu des géants de la distribution et surtout du mastodonte américain du commerce numérique, Amazon, le report d’une semaine de la fête promotionnelle du « Black Friday » prévue fin novembre. L’effort est conditionné à la réouverture des commerces – maladroitement qualifiés par le gouvernement de « non essentiels » –, dès le week-end du 28 novembre, soit quelques jours avant la date butoir initialement fixée par Matignon au 1er décembre. Cette concession, ajoutée à la mise en place d’un protocole sanitaire renforcé, permet d’éviter une reprise des contaminations de Covid-19 lors des levers de rideaux.

    « On ne pouvait pas imaginer une réouverture en pleine frénésie promotionnelle ! », souligne-t-on à Bercy. La manœuvre permet ainsi de donner au gouvernement des arguments afin d’autoriser la réouverture de ces commerces, sans donner le sentiment de se dédire sur les questions sanitaires. Si le pic des contaminations de Covid-19 semble passé, l’évolution de la pandémie ne permet pas, encore, d’autoriser un relâchement massif du confinement imposé depuis le 30 octobre.

    Le président de la République s’exprimera mardi 24 novembre, à 20 heures, afin de confirmer, ou pas, ce geste octroyé au petit commerce ainsi que d’éventuelles mesures d’assouplissement. Mais un parfum de victoire règne déjà à Bercy. « C’est un beau coup politique de Bruno Le Maire, observe une source proche d’Emmanuel Macron. Ce sera difficile désormais pour l’exécutif de ne pas rouvrir les commerces dès le 28 novembre ».

    Le Maire, « il a bien mené sa barque »

    Asphyxiés par le second confinement, criant à l’injustice et redoutant les faillites, fleuristes, bijouteries, magasins de jouets avaient interpellé le ministre de l’économie pour rouvrir au plus vite afin de ne pas ruiner les ventes à l’approche de Noël. Si Jean Castex avait évoqué la date du 1er décembre pour décider de leur sort, ils espéraient une faveur pour profiter du dernier week-end de novembre, l’un des plus grands moments de vente de l’année. Mais, jusqu’ici, en vain.

    Se faisant le porte-voix de cette France de proximité, M. Le Maire répétait, au fil de ses interventions médiatiques, qu’il mettrait tout en œuvre pour aider ces boutiques à rouvrir le plus vite possible mais, qu’in fine « tout dépendrait de l’évolution de la pandémie » et des arbitrages décidés à Matignon et à l’ElyséeQuant au « Black Friday » dont certains réclamaient l’annulation, dénonçant la concurrence déloyale d’Amazon, « je n’ai pas la possibilité de l’interdire », expliquait-il encore le 9 novembre sur BFM-TV, évoquant une promotion privée.

    La suite s’est dénouée en coulisses, au gré d’allers et retours entre le siège d’Amazon en France et Bercy, en passant par des discussions avec la grande distribution, avant d’atterrir au sommet de l’Etat. Mercredi, le sujet du report du « Black Friday » a ainsi été abordé par le ministre de l’économie lors du conseil de défense réunissant, notamment, le chef du gouvernement et le ministre de la santé, Olivier Véran, pour tenter de vaincre les dernières réticences. Bien avant l’annonce de l’accord, M. Le Maire avait ainsi sécurisé ses arrières. « Il a bien mené sa barque », salue l’un des participants aux négociations conduites par Bercy.

    Se posant en sauveur du petit commerce, le ministre de l’économie impose ainsi son agenda à l’aile « sanitaire » du gouvernement qui, jusqu’ici, rythmait la vie des Français au gré des courbes de contamination du Covid-19 et des entrées en services de réanimation. « C’est le jeu », observe-t-on dans l’entourage de M. Véran. Mais qu’en dira Jean Castex ?

    Empathie envers le désespoir des commerçants

    Bruno Le Maire, à qui l’on prête régulièrement l’ambition de briguer Matignon, donne, une fois de plus, le sentiment de court-circuiter allègrement le premier ministre. « Castex ? Matignon ? Bruno Le Maire s’en fiche, assure un proche du ministre de l’économie. Bruno est sur le terrain. Depuis des semaines il voit que les mesures d’aides ne suffisent pas, que les baux sont à céder. Son obsession, c’est que la cocotte-minute n’explose pas. En réalité, il travaille à la réélection de Macron ! »

    Au-delà du risque d’une fronde, voire d’un nouveau poujadisme, le ministre de l’économie n’ignore rien du poids électoral des artisans et des commerçants. « Seuls, ils représentent de l’ordre de 2 à 3 millions d’électeurs. Mais ils sont surtout un formidable relais d’opinion », souligne Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’institut de sondage IFOP.

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    La France s’est, de fait, prise de passion pour ces petits commerces en détresse. Une majorité écrasante, allant de 80 % à près de 90 % selon les sondages, est en faveur de leur réouverture. « Cette sympathie en dit beaucoup sur la société. Les Français sont nostalgiques. Ils ont peur de la marche du monde, alors ils regardent dans leur rétroviseur, et qu’est-ce qu’ils voient ? La place du marché, l’épicier du coin, observe Philippe Moati, professeur d’économie à l’université Paris-Diderot et cofondateur de l’Observatoire Société & Consommation (Obsoco). Le petit commerce qui, autrefois, était vu comme ringard, voire malhonnête – rappelons-nous du Au bon beurre de Jean Dutourd [Gallimard, 1952] –, incarne maintenant l’humain, le local. Celui qui, comme eux, est victime du système », insiste l’économiste.

    Véritable animal politique, Bruno Le Maire a très vite pris conscience de l’enjeu de ce dossier brûlant. Naviguant sur une ligne de crête, entre conscience de la gravité du Covid-19, dont il a été victime, et empathie envers le désespoir des commerçants, il est parvenu à renforcer sa popularité et à marquer le paysage. « Cet épisode peut marquer une rupture, le faire changer de statut. M. Le Maire avait une image d’homme distant, de technocrate. Il apparaît maintenant dans la proximité, le concret des Français », analyse le politiste Frédéric Dabi.

    Vendredi, la réouverture des commerces n’était toutefois pas encore actée. « En Macronie, on ne fait jamais de prévision », souligne-t-on au sein du gouvernement.

     

    C. Gatinois & A. Lemarié


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